Paris, France

Le Directeur-Général de l'OIE s'exprime sur la faune sauvage (éditorial)

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Surveiller la faune sauvage pour mieux la protéger et pour nous prémunir des maladies qu'elle nous transmet

Les maladies de la faune sauvage suscitent des préoccupations croissantes à l’échelle mondiale. En plus de menacer les populations d’animaux sauvages elles-mêmes, ces maladies peuvent avoir un impact sur les animaux domestiques et sur la santé humaine, d’autant que le contexte nouveau créé par la mondialisation des échanges de marchandises et par le changement climatique fait émerger de nombreuses maladies communes à l’animal et à l’homme. En outre, le commerce légal ou illégal d’animaux sauvages dans le monde, qui représente aujourd’hui plus de 6 milliards de dollars américains, ne cesse de se développer, contribuant à la dissémination mondiale de nouveaux agents pathogènes et de maladies émergentes.

 Aussi est-il devenu indispensable de mieux connaître les maladies présentes chez les animaux sauvages ainsi que leurs effets sur ces espèces, sur les animaux domestiques et sur l’homme, afin de concevoir des mesures de lutte appropriées.

Les zoonoses (maladies animales pouvant affecter l’homme) posent aujourd’hui des problèmes de plus en plus graves. En effet, environ 60 % des agents pathogènes pouvant affecter l’homme et plus de 75 % de ceux qui sont apparus au cours des vingt dernières années ont une origine animale. Pour un grand nombre d’entre eux, le lien avec la faune sauvage est avéré. De plus, de nouveaux facteurs tels que la mobilité accrue des populations humaines, le changement climatique, les mouvements d’animaux et de produits d’origine animale dans le cadre du commerce international, la déforestation, l’urbanisation, les nouvelles habitudes sociales telles que l’engouement pour les animaux de compagnie d’espèces exotiques favorisent une multiplication de contacts sans précédent dans l’histoire entre les animaux sauvages, les animaux domestiques et l’homme.

Le rôle joué par la faune sauvage dans la situation épidémiologique mondiale est maintenant largement démontré et l’on sait aussi que les animaux sauvages sont à la fois la cible et le réservoir d’agents pathogènes pour les animaux domestiques comme pour l’homme. En effet, des maladies comme la tuberculose, l’infection due au virus Nipah ou celle due au virus Ebola, pour ne citer qu’elles, atteignent aussi souvent l’animal que l’homme, chacun de ces événements confirmant la nécessité de mieux surveiller la santé des animaux sauvages et de retracer l’origine de leurs maladies. Inversement, des maladies d’origine humaine sont parfois la cause du déclin observé dans les populations sauvages de certaines espèces animales comme les grands primates. Plus récemment, la crise mondiale de l’influenza aviaire a montré qu’il nous reste beaucoup à apprendre sur le comportement de la souche H5N1 chez les oiseaux sauvages et sur leur rôle dans la propagation de la maladie.

Les espèces animales sauvages et domestiques dites invasives ainsi que les végétaux non autochtones constituent une menace pour de nombreux écosystèmes, notamment à travers l’introduction d’espèces indésirables dans certaines niches écologiques, phénomène dont les conséquences néfastes pour l’environnement ne cessent de s’aggraver au niveau mondial. Dans le cas où des écosystèmes naturels sont menacés par des populations d’animaux sauvages ou d’animaux domestiques retournés à l’état sauvage ou semi-sauvage, il est important d’en contrôler la démographie car ils représentent aussi des réservoirs forts appréciés par beaucoup de pathogènes. À cette fin, l’OIE œuvre à l’élaboration de normes pour le contrôle sans cruauté de ces catégories de populations animales indésirables lorsque cela s’avère nécessaire.

Parallèlement à la croissance de la population humaine et à la montée en flèche de la demande mondiale en protéines animales, qui devraient encore s’accélérer dans les années à venir, les populations d’animaux domestiques ont, elles aussi, considérablement augmenté, entraînant des besoins importants en termes d’espaces de pâturage. Ainsi, les activités d’élevage ont empiété partout sur des espaces autrefois habités par les animaux sauvages, ce qui menace la survie de la faune sauvage cantonnée dans un habitat de plus en plus restreint et expose les animaux domestiques à de nouveaux agents pathogènes.

La gestion et le contrôle des maladies chez les animaux sauvages présentent de nombreuses difficultés inhérentes à la condition même de ces espèces : les signes et les symptômes de maladie sont moins faciles à observer que chez les animaux domestiques et les prélèvements d’échantillons pour analyse de laboratoire sont plus difficiles à réaliser, ce qui ralentit considérablement la détection précoce des foyers et la mise en œuvre d’une réaction appropriée en cas de foyer. Ces facteurs conjugués rendent plus problématique la surveillance des maladies des animaux sauvages à l’échelle mondiale, mais ne réduisent en rien l’importance des programmes de surveillance.

En 1993, l’OIE a créé un Groupe de travail permanent sur les maladies des animaux sauvages. Le Groupe de travail est composé de six experts scientifiques mondiaux de haut niveau dans leur spécialité représentant toutes les régions du monde. Sa mission est de collecter, d’analyser et de diffuser des informations sur près de 40 maladies affectant les animaux sauvages aussi bien dans leur milieu naturel qu’en captivité. Le Groupe a préparé les recommandations de l’OIE en la matière et supervisé de nombreuses publications scientifiques sur la surveillance et le contrôle des principales maladies des animaux sauvages.

La surveillance des maladies des animaux sauvages est une priorité aussi importante que la surveillance et le contrôle des maladies affectant les animaux domestiques. Les animaux sauvages servent souvent de sentinelles pour les maladies animales, ce qui permet une gestion et un contrôle sanitaires efficaces chez les animaux domestiques. En conséquence, l’OIE encourage vivement ses 172 Membres à mettre en place des systèmes de surveillance efficaces et à notifier l’apparition de foyers de maladies chez les animaux sauvages, retournés à l’état sauvage ou semi-sauvage, ou partiellement domestiqués, comme il est d’usage pour toutes les autres espèces animales. Le Système mondial d’information sanitaire de l’OIE (WAHIS) a permis d’améliorer considérablement la notification des maladies animales dans le monde, y compris celles des animaux sauvages listées par l’OIE, contribuant au niveau de transparence sans précédent que nous connaissons aujourd’hui dans ce domaine .

Il a été demandé à tous les Délégués des Membres de l’OIE de nommer un point focal national, chargé, sous leur autorité, de notifier à l’OIE les maladies à déclaration obligatoire touchant les animaux sauvages et de transmettre à l’OIE les commentaires de leur pays sur les nouvelles normes proposées par l’OIE dans le domaine des maladies de la faune sauvage avant que celles-ci ne soient officiellement adoptées.

Bernard Vallat

Bernard Vallat

En outre, l’OIE a créé le concept de compartimentation afin de préserver le statut indemne des populations d’animaux domestiques au regard de certaines maladies, lorsque leur environnement est affecté par ces maladies spécifiques. Dans certains cas, le concept de compartimentation permet d’élever des animaux domestiques et de participer au commerce international à partir de régions dans lesquelles les animaux sauvages sont susceptibles d’être infectés, par exemple par la maladie de Newcastle chez les oiseaux ou par la peste porcine chez les sangliers. Inversement, la compartimentation permet de protéger les animaux sauvages à l’égard de certaines maladies des animaux domestiques, grâce aux mesures de biosécurité appliquées dans les compartiments.

Dr Bernard Vallat, OIE Director General. Crédit photo (c) DAHP (MoA) 2008

Les missions de gestion sanitaire liées à la faune sauvage sont claires. Nous devons maintenir la diversité biologique, empêcher la disparition des espèces menacées, mieux connaître la situation sanitaire de toutes les populations animales et en même temps protéger les populations humaines et d’animaux domestiques contre l’introduction de maladies. La réussite de cette mission dépend en grande partie des Services vétérinaires. Il est pour cela nécessaire d’avoir des Services vétérinaires techniquement compétents, disposant de ressources suffisantes et travaillant de façon constructive en coopération avec d’autres instances de contrôle et avec les organisations non gouvernementales (ONG). Cela suppose également l’existence d’une volonté politique et l’affectation des ressources nécessaires à la mise en œuvre des différents programmes et à la recherche scientifique. Par ailleurs, pour être efficaces, les Services vétérinaires doivent mettre en place des mécanismes d’alliance et de collaboration avec les administrations et agences chargées de la protection de la nature et de la chasse, ainsi qu’avec les ONG œuvrant dans ces domaines. Les mécanismes d’alliance avec les chasseurs sont particulièrement fructueux et importants pour la surveillance et la détection précoce des maladies de la faune sauvage. Ces alliances sont également utiles pour gérer les populations d’animaux indésirables.

Des résultats positifs importants ont déjà été obtenus. Certaines maladies telles que la rage ont été contrôlées ou éliminées de nombreuses régions grâce à des programmes de vaccination orale (notamment chez les renards) qui ont également permis de protéger la santé des animaux domestiques et la santé humaine. L’objectif d’éradication de la peste bovine chez les animaux domestiques et sauvages est sur le point d’être atteint. La trichinellose, qui reste une maladie importante des carnivores sauvages, a été éliminée chez les porcs domestiques dans la plupart des régions du monde, ce qui a considérablement réduit son incidence chez l’homme et en partie chez les animaux sauvages.

Les problèmes sanitaires de la faune sauvage ne se résoudront pas d’eux-mêmes. S’il est important de surveiller la présence d’agents pathogènes chez les animaux sauvages, les actions de lutte ne sont pas directement dirigées vers ces populations, et ne le seront pas davantage à l’avenir. En effet, les mesures de lutte et d’éradication mises en œuvre sous l’autorité des Services vétérinaires doivent être principalement axées sur les animaux domestiques, car c’est ce qui peut permettre de protéger la faune sauvage.

L’OIE exhorte la communauté internationale tout entière à soutenir les Services vétérinaires nationaux pour renforcer les capacités de surveillance des maladies de la faune sauvage afin notamment de suivre de près les maladies susceptibles de devenir une menace pour les animaux domestiques et pour l’homme. L’OIE continuera de plaider en faveur de la sauvegarde des écosystèmes naturels ainsi que des espèces sauvages qui ont survécu aux bouleversements planétaires, car il s’agit de biens publics mondiaux.

Pour toutes ces raisons, la surveillance des maladies des animaux sauvages, le contrôle sanitaire du commerce international des animaux domestiques et sauvages et des produits d’origine animale basé sur les normes de l’OIE reconnues par l’Organisation mondiale du commerce et le contrôle exercé sur les transferts d’espèces invasives et d’animaux ou de végétaux indésirables sont des actions essentielles.

Bernard Vallat 

September 2008 Editorial

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