Bien que de nombreuses études scientifiques cherchent à mieux comprendre la maladie à virus Ebola (MVE) et son cycle viral, des études détaillées sur les facteurs socio-économiques qui augmentent le risque de contact entre les communautés et la maladie restent peu nombreuses aujourd’hui. Soucieux de combler cette lacune, dans le cadre du projet EBO-SURSY le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Institut Pasteur ont soutenu les recherches de Mamadi Drame sur le terrain dans le cadre de son Master en Gestion Intégrée des Maladies Animales Tropicales à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et l’Université Paul Sabatier. Centré sur les pratiques socio-économiques et culturelles des communautés vivant en contact étroit avec des animaux sauvages, son travail s’intéresse à la perception des communautés sur les pratiques de surveillance, à comprendre les motivations menant à la consommation de la viande de brousse et à d’autres types de pratiques à risque.
Dans certaines zones rurales proches des grandes forêts et/ou des zones protégées, les communautés sont souvent en contact régulier avec des animaux sauvages comme des chauves-souris (réservoir présumé de la MVE), grands singes et céphalophes qui peuvent, s’ils sont infectés, transmettre la maladie aux humains à travers leur sang et autres fluides corporels. Ces populations humaines risquent donc de contracter des maladies zoonotiques si elles consomment ou se trouvent en contact avec des animaux infectés ou leurs carcasses.
C’est pourquoi l’Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) déconseille la chasse, la préparation et la consommation des chauves-souris de même que la consommation et la manipulation des autres animaux sauvages retrouvés morts ou malades. Dans ce contexte, l’accès à l’information nécessaire pour se protéger est primordial.
Avec pour but de rassembler et mieux comprendre les connaissances existantes et d’identifier les pratiques qui augmentent les risques de transmission à l’interface animal-humain, cette étude s’est basée sur des entretiens avec 23 familles, 9 chasseurs et 13 membres des services techniques. Elle a permis à Mamadi Drame de constater que le premier facteur de consommation de la viande de brousse était le manque de sources alternatives de protéines animales à un prix abordable pour les populations locales – une réalité aggravée par le sous-développement du secteur de l’élevage national.
Néanmoins, lorsqu’il a été demandé aux participants pour quel type de protéines animales ils opteraient s’ils avaient le choix, la majorité des personnes interrogées avait déclaré qu’elle mangerait de la viande de brousse pour des raisons culturelles et parce qu’elle préférait son goût à celui du bétail. Pour certains l’équation est simple, comme le résume une vendeuse : « Les clients préfèrent la viande de brousse, c’est à cette viande qu’ils sont habitués. A l’image des habitants de Conakry qui mangent beaucoup de poisson parce qu’ils ont la mer, nous les forestiers nous consommons beaucoup la viande de brousse parce que nous sommes dans la forêt. »
Cette consommation traduit également la conviction répandue que les animaux sauvages ne peuvent pas être porteurs ou transmettre des maladies et que leur consommation pourrait même avoir des effets bénéfiques sur la santé en raison de leur alimentation naturelle, à base notamment de plantes médicinales. En revanche, les chasseurs, par expérience personnelle, et les consommateurs citadins, grâce à un meilleur accès à l’information, ont davantage tendance à éviter la consommation des animaux retrouvés malades ou morts.
Les connaissances des agents des services techniques ont été marquées par le foyer d’Ebola de 2014 mais les idées reçues sur les origines du virus persistent. Parmi eux, certains disaient : « pendant la période d’Ebola, on nous a dit que les animaux sauvages étaient impliqués, sinon nous ne savions pas [que] des maladies [venaient de] la faune sauvage » d’autres constataient : « les animaux sauvages peuvent avoir jusqu’à 200 ans de vie, ce qui veut dire qu’ils ne tombent pas malades comme nous les humains ou les animaux domestiques. » Ce deuxième point souligne l’urgence de sensibiliser les agents des services techniques ainsi que les communautés rurales aux risques liés à la consommation d’animaux retrouvés morts ou malades, en particulier des grands singes, céphalophes et chauves-souris.
« Quoi qu’on fasse, sans un système de surveillance d’animaux domestiques et sauvages, on ne pourra pas éviter les épidémies d’origine animale » dit Mamadi Drame
Selon un agent des Services vétérinaires nationaux, « l’inspection de la viande des animaux sauvages ne nous intéresse pas, parce que nos supérieurs hiérarchiques nous ont dit clairement que nos compétences se limitaient aux animaux domestiques. » En revanche, des chefs de cantonnement forestier, ont indiqué qu’ils n’avaient pas de spécialistes en santé animale, en mentionnant : « nous devons normalement signaler les cas de maladies dans la faune sauvage au Service vétérinaire » et « nous ne savons pas comment [nous] y prendre. »
Face à cette impasse, Mamadi Drame souligne l’urgence de développer un système de surveillance basé sur la participation active de la communauté qui intègrerait à la fois les animaux domestiques et sauvages et reposerait sur un engagement fort et concerté des services de la santé humaine et animale et les services en charge des écosystèmes. Cette conclusion s’inscrit parfaitement dans les objectifs du projet EBO-SURSY, qui vise à renforcer les systèmes de surveillance nationaux non seulement en consolidant les capacités techniques des Services vétérinaires pour surveiller les populations d’animaux domestiques et sauvages, mais également en renforçant leur engagement auprès des communautés.
Toute photo fournie par Mamadi Drame.
En savoir plus sur le projet ici
1 Avec l’appui financière de l’Union européenne, le projet EBO-SURSY de l’Organisation Mondiale de la santé animale (OIE) vise à renforcer la capacité des Services vétérinaires nationaux dans 10 pays de l’Afrique centrale et de l’ouest pour qu’ils puissent mieux gérer et répondre à la Maladie à Virus Ebola (MVE) et 4 autres fièvres hémorragique – la Maladie à Virus Marburg, la fièvre de la Vallée de Rift, la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, et la fièvre de Lassa. Ces 5 maladies sont des zoonoses, des maladies d’origine animale transmissible à l’humain.