Maputo et Tananarive

Opinion d'expert : Maladies des points blancs en Afrique : seconde apparition dans le Canal du Mozambique

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Il y a encore sept mois, l’océan Indien était considéré par l’industrie de la crevette (ou crevetticulture) comme l’un des derniers endroits de la planète où les producteurs avaient réussi à pratiquer cet élevage depuis plus de vingt ans sans qu’aucun cas de maladie des points blancs n’ait été signalé. L’impact désastreux qu’ont eu les maladies sur les élevages de crevettes d’Asie et des Amériques ces vingt dernières années est bien décrit dans de nombreuses publications. La maladie des points blancs est considérée comme l’une des plus virulentes qui soit et les estimations laissent à penser qu’elle a coûté aux élevages de crevettes dans le monde près de dix milliards de dollars au titre des pertes de production.

La maladie des points blancs est fortement létale avec une mortalité cumulative au sein des élevages de crevettes pouvant atteindre jusqu’à 100 % en deux à sept jours après que l’infection se soit déclarée (une fois qu’un bassin est touché). La transmission du virus peut être verticale (par le biais des gamètes), horizontale (ingestion de tissus infectés) ou véhiculée par l’eau (en bassins ouverts d’eau de mer, le virus peut survivre trois à quatre jours). Les crevettes malades présentent des signes cliniques typiques – sans être toutefois pathognomoniques – coloration rouge foncé sur l’ensemble du corps accompagnée d’inclusions (taches) blanches sur la carapace et les appendices avec un comportement léthargique et une perte d’appétit. La maladie des points blancs est due à une infection par le virus du syndrome des points blancs apparue tout d’abord en Asie du Nord-est en 1992-1993 avant de s’étendre géographiquement. Le spectre des hôtes potentiels est très large (tous les décapodes y sont sensibles, et les annélides, les arthropodes et les mollusques peuvent en être des vecteurs).

Malheureusement, il y a sept mois le premier cas de maladie des points blancs en Afrique a été détecté dans un élevage de crevettes situé à Quelimane dans la province de Zambezia au Mozambique (septembre 2011). Dans l’année, d’autres sites d’aquaculture pratiquant l’élevage de crevettes dans ce pays ont été également diagnostiqués comme atteints par le virus de la maladie des points blancs. Parallèlement à l’abattage sanitaire, une première étude épidémiologique a été réalisée avec la contribution d’acteurs publics et privés afin d’évaluer la distribution du virus de la maladie des points blancs sur la côte du Mozambique. Il s’est dégagé des premiers résultats obtenus que le virus était déjà largement répandu dans pratiquement toutes les provinces côtières du Mozambique, affectant plusieurs espèces de crustacés dont les crevettes pénéides et les crabes ce qui semble fortement suggérer que la maladie des points blancs était présente dans ces eaux depuis déjà plusieurs mois, voire des années.

Un second foyer a été signalé dans cette région le 9 mai 2012 dans une ferme d’élevage de type semi-intensif située au sud de Madagascar. Une étude épidémiologique visant à identifier l’origine du virus de la maladie des points blancs et à évaluer sa distribution sur les côtes de Madagascar est actuellement en cours. Suite à cette constatation, toutes les unités de production touchées ont fait l’objet d’un abattage sanitaire total (animaux sacrifiés, vidange de l’eau et désinfection) ce qui a entrainé d’immenses pertes économiques et provoqué du chômage.

Ces deux événements qui se sont produits récemment de façon imprévisible illustrent l’importance de définir une stratégie nationale en matière de santé des animaux aquatiques et d’avoir un programme de surveillance général en place et opérationnel avant que ne survienne le premier cas de maladie touchant les animaux aquatiques : ceci permet d’être prêt à répondre rapidement lorsqu’un agent pathogène exotique est détecté et de pouvoir appliquer un plan d’intervention d’urgence.

L’expérience d’autres pays où la maladie est devenue endémique laisse à penser que les méthodes d’élevage traditionnelles utilisées en Afrique devront désormais s’adapter à cette nouvelle situation sanitaire ce qui veut notamment dire : accroissement des niveaux de biosécurité dans les unités d’élevage, contrôle des déplacements de tous les animaux sensibles et identification de toutes les entrées possibles du virus. Travailler dans des compartiments biosécurisés et précertifiés indemnes du virus de la maladie des points blancs ainsi qu’avec des animaux reproducteurs sauvages mis en quarantaine et soumis à des tests diagnostiques d’amplification en chaîne par polymérase pour la détection de la maladie points blancs (ou même mieux en ayant recours à des crevettes domestiquées indemnes de cet agent pathogène spécifique, voire résistante à celui-ci) est la seule solution fiable connue à ce jour permettant de continuer à produire des crevettes dans les zones infectées par cette maladie. L’industrie africaine de la crevette devra consentir d’immenses efforts financiers qui devront s’accompagner d’une forte implication et de la supervision des autorités compétentes du Mozambique, de Madagascar et des pays limitrophe

Opinion d'expert

Par Marc Le Groumellec

Marc Le Groumellec est un docteur vétérinaire, PhD, spécialisé en aquaculture. Ayant d’abord travaillé à l’IFREMER (centre de recherche français), il a ensuite été consultant puis a travaillé pour des entreprises aquacoles intégrées verticalement en Amérique Latine, en Asie et en Afrique. Actuellement basé à Madagascar, il est un expert de renommé mondiale en matière de pathologies des crustacés, qui contribue régulièrement aux activités de l’OIE en Afrique et dans le monde
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