La rage tue près de 59 000 personnes chaque année dans le monde et ce sont majoritairement des enfants des régions rurales vulnérables qui en sont victimes. En Érythrée, cette zoonose sévit à l’état endémique avec des pics périodiques de transmission qui constituent un sérieux risque pour les moyens de subsistance des communautés locales et la santé humaine et animale. Face au constat que, dans 99 % des cas humains de rage, le virus a été transmis par morsure de chien, en 2018 le ministère de l’Agriculture de l’Érythrée a sollicité le soutien de l’OIE en vue de réaliser une campagne de vaccination systématique des chiens. L’OIE a ainsi fourni 150 000 doses de vaccin antirabique qui ont été financées avec le généreux concours de l’Union européenne. Ces vaccins ont comblé un déficit de 18 000 euros dans le budget du programme antirabique de l’Érythrée, ce qui a permis aux Services vétérinaires érythréens de vacciner 147 800 chiens contre la rage et d’atteindre une couverture vaccinale de 80 à 100 % dans l’ensemble des régions ciblées.
L’Érythrée a connu d’importants foyers de rage dans cinq de ses six régions administratives : Maekel, Debub, Anseba, Gash-Barka et Semienawi Keih Bahri. Dès 1992 le ministère de l’Agriculture a mené des campagnes annuelles de vaccination dans le but d’éliminer la rage transmise par les chiens. Faute de financement suffisant, le ministère devait se limiter à l’acquisition de 20 000 doses vaccinales annuelles, ce qui ne représente qu’une fraction du nombre de doses nécessaires pour assurer une couverture appropriée de la population canine et infléchir la courbe de la transmission.
C’est à ce stade que le soutien de la banque de vaccins de l’OIE s’est révélé essentiel. L’OIE a une expérience mondiale en matière de gestion des banques de vaccin et de fourniture de vaccins de haute qualité dont la production satisfait aux normes internationales de l’OIE. Depuis leur création, ces banques ont distribué à travers le monde plus de 25 millions de doses de vaccin antirabique pour les chiens et plus de 76,6 millions de doses de vaccin contre la peste des petits ruminants (PPR) pour les ovins et les caprins. Le recours aux banques de vaccins permet de réaliser des économies d’échelle et de faire baisser le coût unitaire des doses. C’est une solution gagnant-gagnant aussi bien pour l’OIE que pour les pays bénéficiaires : ces derniers gagnent en efficacité grâce à une meilleure coordination entre programmes de lutte contre les maladies animales et programmes de vaccination, tandis que l’OIE joue pleinement son rôle pour la protection de la santé et du bien-être des animaux à travers le monde.
Figure 1 : L’Érythrée et ses six régions administratives. © Services vétérinaires, ministère de l’Agriculture de l’Érythrée, 2020.
Le combat mené contre la rage demande une forte collaboration intersectorielle et une approche « Une seule santé » incluant les secteurs de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement. C’est pourquoi l’OIE n’œuvre pas seule pour éliminer la rage. Le Forum « Tous unis contre la rage », partenariat international mené par l’OIE, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), promeut une collaboration multisectorielle visant à mettre fin d’ici à 2030 aux décès causés par la rage transmise par les chiens. À l’heure actuelle, 80 % des décès de la rage surviennent dans des zones rurales où l’accès aux campagnes d’éducation sanitaire ou à la prophylaxie post-exposition est limité, voire inexistant. L’Afrique et l’Asie sont les continents où le risque de mortalité humaine due à la rage est le plus élevé et où surviennent au total plus de 95 % des cas mortels rapportés dans le monde.
Avant le soutien apporté par l’OIE, la proportion de chiens vaccinés en Érythrée ne dépassait pas 45 %. Selon le Docteur Yonas Woldu Tesfagaber, directeur de la Santé animale et végétale au sein du ministère de l’Agriculture de l’Érythrée, une fois qu’un nombre suffisant de vaccins antirabiques a été mis à disposition, le combat n’était encore gagné qu’à moitié. Il rappelle qu’en 2020 « le principal cheval de bataille a été le Covid-19. Bien que l’agriculture fasse partie des activités reconnues comme essentielles par le gouvernement, le couvre-feu imposé de la tombée du jour jusqu’à l’aube a perturbé l’administration des vaccins, surtout dans les cliniques vétérinaires des grandes villes ». Outre les difficultés liées au Covid-19, d’autres obstacles ont mis un frein aux vaccinations, en particulier le manque de véhicules de transport, les lacunes en matière de surveillance et de notification des cas de rage, les difficultés à mettre en œuvre les activités de gestion des populations de chiens et la faible sensibilisation du public à la problématique de la rage.
Afin de mieux surmonter les obstacles à la vaccination dans les communautés villageoises, les équipes des Services vétérinaires ont élaboré un plan global en collaboration avec les autorités locales et les aînés. Elles ont organisé une campagne d’information, diffusée à la télévision, à la radio et par voie de presse, afin que les publics visés par la vaccination – c’est-à-dire les propriétaires de chiens, les éleveurs de bétail et les écoles – soient informés sur la rage avant le démarrage de la campagne de vaccination.
La coordination des deux campagnes, information et vaccination massive, a été un franc succès. Le Docteur Yonas Woldu Tesfagaber rapporte que la campagne d’information « a eu un impact positif et a permis une mise en œuvre fluide du programme de vaccination à travers tout le pays ». De plus, il constate que « la participation de toute la communauté à la planification, à l’exécution et au suivi du programme de vaccination ainsi qu’à d’autres activités s’est traduite par une couverture vaccinale élevée et une diminution de l’incidence des cas de rage ».
Figure 2 : Banderole utilisée pour la campagne « Journée mondiale contre la rage » en Érythrée. © Services vétérinaires, ministère de l’Agriculture de l’Érythrée, 2020
Dans les communautés rurales la campagne de vaccination contre la rage s’est associée de manière créative aux campagnes de vaccination du bétail en saisissant l’occasion pour vacciner également les chiens. Comme l’explique le Docteur Yonas Woldu Tesfagaber, « les bergers qui font vacciner leur troupeau sont généralement accompagnés de leurs chiens, aussi avons-nous profité de cette habitude pour vacciner systématiquement les chiens et ainsi réduire les coûts pour les Services vétérinaires tout en faisant gagner du temps aux propriétaires de bétail et de chiens ». La peste des petits ruminants (PPR) est une maladie très contagieuse au sein des troupeaux d’ovins et de caprins ; en effet, le virus responsable peut infecter jusqu’à 90 % d’un troupeau. La PPR peut tuer de 30 à 70 % des animaux infectés. Bien que ce virus n’affecte pas l’être humain, la PPR entraîne une insécurité financière et alimentaire et de 1,5 à 2 milliards USD de pertes économiques chaque année dans le monde. Sont particulièrement concernés par cette maladie les 65 % d’Erythréens qui gagnent leur vie en élevant des moutons et des chèvres et qui dépendent également de ces animaux pour leur consommation personnelle.
Dans la région de Gash-Barka, réputée pour être le grenier de l’Érythrée, la couverture vaccinale contre la rage a pratiquement triplé, passant de 35 % à 90 %, depuis que la banque de vaccins de l’OIE a commencé ses livraisons. Dans l’ensemble des régions du pays, la couverture a plus que doublé, atteignant un taux de 100 % dans la région de Maekel et dans celle de Debubawi Keih Bahri. Ces taux élevés de couverture vaccinale sont un gage de protection de la santé et de la sécurité des populations humaines et animales dans toute l’Érythrée.
Figure 3 : Des chiens sont vaccinés contre la rage pendant que des moutons et des chèvres sont vaccinés contre la PPR et contre la clavelée et la variole caprine dans la région de Gash-Barka. © Services vétérinaires, ministère de l’Agriculture de l’Erythrée, 2020.
L’élimination, d’ici à 2030, de la rage transmise par les chiens, est un objectif ambitieux au regard duquel les campagnes de vaccination systématique continueront à jouer un rôle crucial. Les modèles épidémiologiques et l’expérience sur le terrain ont démontré qu’une couverture vaccinale durable de 70 % de la population canine est suffisante pour prévenir la transmission de la rage entre les chiens, et du chien à l’homme. De plus, cette élimination relève du bon sens économique : en effet, 10 % environ des ressources financières consacrées actuellement au traitement d’urgence des personnes mordues par des chiens suffiraient probablement aux Services vétérinaires nationaux du monde entier pour éradiquer la rage canine.
En Érythrée, l’objectif d’éradication ne semble plus hors d’atteinte. En 2021, une nouvelle livraison de vaccins contre la rage par la Banque de vaccins de l’OIE, cette fois avec le concours de l’Allemagne, ciblera encore la rage canine. Outre l’amélioration de la couverture vaccinale, le soutien de l’OIE a réussi à convaincre les décideurs politiques du bien-fondé des investissements dans la santé publique vétérinaire et des nombreux avantages qui leur sont associés. Le gouvernement va continuer à travailler avec la banque de vaccins de l’OIE et à poursuivre l’objectif d’éradiquer la rage et la PPR. Le Docteur Yonas Woldu Tesfagaber est convaincu que le pays est sur la bonne voie : « Nous avons vacciné avec succès plus de 75 % de notre population de chiens et nous sommes pleinement engagés pour réussir l’éradication d’ici à 2030 ».